Chapitre I

Son petit maillet de buis levé au-dessus du pupitre, le commissaire-priseur cria d’une voix où perçait à la fois une pointe d’angoisse et de réprobation :

— Quarante mille francs seulement pour cette merveilleuse statuette précolombienne… Quarante mille francs ! Personne ne dit mieux ? Un, deux, trois… Adjugé pour quarante mille francs !

Et la petite idole de jadéite que, jadis, une tribu chibcha avait peut-être adorée à l’égal d’un dieu, alla grossir la masse déjà respectable des objets vendus et attendant le bon vouloir de leurs nouveaux propriétaires.

Ce matin-là, il y avait grand monde dans la salle de l’Hôtel Drouot, car on y vendait les biens du baron de Laville, le célèbre collectionneur, décédé depuis peu. Pendant toute sa vie, le malheureux baron, parcourant inlassablement le monde, avait réuni un tas de choses curieuses et précieuses dans son château de Saint-Cloud et, à présent qu’il était mort, ces mêmes objets se dispersaient aussitôt comme saisis de panique. Un tel choc en retour aurait pu permettre aux assistants de se pénétrer de la vanité de toutes choses en ce bas monde, mais les clients de l’Hôtel Drouot n’appartenaient pas, pour la plupart, à la très sage et très restreinte corporation des philosophes. Il y avait là des marchands voyant seulement une occasion de gagner de l’argent et des amateurs qui, négligeant l’exemple du baron de Laville, croyaient pouvoir jouir à jamais des biens terrestres. Ensuite, il y avait aussi les curieux. Ils se reconnaissaient à leur détachement, leur indifférence, voire leur distraction soudain interrompue par l’apparition d’une pièce rare ou l’énoncé d’un nom prestigieux, tel que Corot, Rodin ou Van Gogh. Alors, un murmure d’admiration leur échappait, mais là s’arrêtaient leurs manifestations d’intérêt, et l’on devinait à leur air guindé qu’ils évitaient soigneusement tout geste que le commissaire-priseur aurait pu prendre pour une quelconque surenchère.

Il eut cependant été difficile de classer les deux hommes qui, assis côte à côte au quatrième rang, suivaient les débats d’un œil à la fois amusé et attentif. À coup sûr, ce n’étaient pas des marchands, car aucune hargne ne se lisait sur leurs traits quand une belle pièce était adjugée. Des amateurs ? De simples curieux ? Ni l’un ni l’autre, sans doute, car, s’il y avait de l’intérêt dans leurs regards, la concupiscence en était cependant absente. Ils étaient là en spectateurs, sans plus, et ils assistaient à la mise aux enchères comme des amateurs de spectacles sportifs assistent à un beau match de football ou de boxe, jugeant avec passion une incomparable œuvre d’art comme ils auraient jugé un shoot parfait ou un crochet puissant.

Bruns et jeunes tous deux, ayant à peine atteint la trentaine, ils étaient de haute taille, minces, avec des épaules vigoureuses. Mais là s’arrêtait leur ressemblance. L’un, au visage osseux et dur, aux regards volontaires, offrait, avec ses cheveux coupés en brosse et son veston de tweed, l’image parfaite du sportif enragé, prêt à risquer sa vie pour une cause qui en vaudrait la peine, à bord d’un avion à réaction ou d’une voiture de course. Chez le second, il y avait plus de mollesse dans le maintien et sur ses traits fins et racés, dans l’ordonnance parfaite de sa chevelure brillante. Son complet gris foncé sortait certainement de la boutique d’un maître tailleur de Bond Street et devait, à coup sûr, valoir son pesant d’or.

À vrai dire, Robert Morane – c’était le nom du sportif au veston de tweed – et Frank Reeves étaient les meilleurs amis du monde. Ils s’étaient connus dans des circonstances suffisamment tragiques – au cours de périlleuses aventures en Nouvelle-Guinée[1] – pour pouvoir s’apprécier mutuellement. Reeves était l’héritier d’une des plus grosses fortunes des États-Unis et il eut pu, s’il l’avait voulu, acheter l’Hôtel Drouot tout entier et son contenu, et cela sans même compromettre l’équilibre de son budget. Morane, lui, ancien Flying Commander de la Royal Air Force, héros de la bataille d’Angleterre, ex-pilote de ligne en Nouvelle-Guinée, écrivait ses mémoires de guerre et d’aventures chez les Papous, mémoires qui, dès leur parution dans les journaux d’Europe et d’Amérique, avaient valu à leur auteur, sinon la célébrité, tout au moins une notoriété fort enviable. Il rêvait déjà à de nouveaux exploits, lorsque Frank Reeves était venu des États-Unis à la fois pour le revoir et visiter Paris, cette ville dont le nom chante toujours secrètement au fond du cœur des hommes.

Pour l’instant, en fait d’aventures, Bob Morane devait se contenter de cette vente à l’Hôtel Drouot, où la curiosité les avait menés, lui et Frank. Il faut dire que la collection du baron de Laville offrait aux spectateurs un incomparable choix de curiosités. Déjà, entre cent autres choses, on avait adjugé le couple de têtes coupées et réduites par les Indiens jivaros de l’Équateur, quatre cheveux de l’empereur Napoléon, une chemise ayant appartenu à Buffalo Bill et un bizarre instrument de supplice chinois ressemblant vaguement à un cure-pipe perfectionné.

Soudain, Reeves poussa Bob du coude pour attirer son attention. Sur l’estrade, un commissionnaire brandissait une petite toile, selon toute évidence fort ancienne, représentant un visage de jeune femme traité à la manière italienne. Pourtant, le sujet lui-même en était insolite, car la jeune femme, ayant servi de modèle au peintre, n’avait rien du genre de beauté fleurissant sur les rives du Tibre ou du Pô. Si elle avait dû évoquer un fleuve, c’eût été plutôt le Nil, car tout en elle rappelait ces images, peintes ou sculptées, de princesses égyptiennes, trouvées dans les vieux tombeaux de la Vallée des Rois. Elle en possédait le profil pur et sobre, vaguement négroïde, les lèvres généreusement ourlées, les longs yeux en amande, ces « yeux de gazelle » si chers aux poètes arabes, et le cou délié et flexible. Une sorte de diadème surmonté du naja sacré venait parfaire l’illusion. Selon toutes probabilités, il s’agissait là d’une peinture italienne de la Renaissance. Tout dans la facture le disait. Mais qu’un peintre italien de cette époque eut justement brossé un tel visage pouvait paraître étrange. On était loin du sourire de Mona Lisa. Et, pourtant, il y avait une telle vie, une telle vérité dans les traits de l’énigmatique jeune femme qu’on ne pouvait douter de son existence passée.

— Crois-tu qu’elle soit si belle ! fit Reeves à l’adresse de Morane.

— Tu devrais plutôt dire qu’elle a été belle, rétorqua Morane avec un sourire teinté d’ironie, car si cette charmante personne a un jour existé, ce fut il y a pas mal d’années. Aujourd’hui, elle serait tout juste bonne à mettre derrière une vitrine, au Musée d’Archéologie, avec la mention « Défense aux personnes sensibles de regarder ».

— Il est impossible de discuter avec un sceptique de ton espèce, dit-il. Tu ne nieras pas, j’espère, que cette toile est exquise…

— Je ne le nie pas, répondit Bob, très sérieusement cette fois, et tout compte fait, je retire mon allusion au Musée d’Archéologie.

Déjà, le commissaire-priseur avait commencé son petit boniment, tendant à vanter l’authenticité et les qualités de la toile qui, selon lui, était due au pinceau de Fosco Pondinas, un élève du célèbre Raphaël. Mais la peinture italienne ne devait pas avoir le don de plaire ce jour-là aux amateurs car, d’un prix de départ de trois cent mille francs, la toile descendit à cinquante mille francs sans qu’un seul acheteur se fût manifesté.

Avec entêtement, le commissaire-priseur répéta sa dernière offre :

— Voyons, qui dit cinquante mille francs pour cette splendide toile de Fosco Pondinas ? Cinquante mille francs !…

Au premier rang des spectateurs, un petit vieillard vêtu de noir, portant lunettes, col à coins cassés et barbiche de chèvre, leva timidement la main droite. Aussitôt, le commissaire-priseur triompha.

— Cinquante mille francs ! J’ai dit cinquante mille francs ! Qui dit mieux ?…

Il y eut un long silence, puis, à la grande surprise de Morane, Frank Reeves leva la main à son tour, indiquant ainsi qu’il surenchérissait.

— Soixante-quinze mille francs ! jeta le commissaire-priseur.

Aussitôt, la main du petit vieillard barbichu se leva à nouveau.

— Cent mille francs !

Calmement, Frank Reeves surenchérit.

— Cent vingt-cinq mille francs !

À partir de ce moment, une lutte serrée s’ouvrit entre l’Américain et le petit vieillard, et les enchères montèrent en flèche. À un moment donné, Bob posa la main sur le bras de son ami et lui souffla :

— Arrête les frais, mon vieux. Tu aurais presque un petit Rembrandt ou un Renoir pour ce prix-là.

Mais Frank ne l’écoutait pas et continuait à lancer ses surenchères. À un moment donné, ne pouvant soutenir la concurrence du jeune milliardaire, le petit vieillard se dressa, arracha ses lunettes, les jeta à terre et se mit à les piétiner avec rage. Ensuite, il sortit d’un pas rapide, en maugréant des paroles vengeresses.

— Un million huit cent mille francs ! cria le commissaire-priseur. J’ai un million huit cent mille francs pour cette charmante toile de Fosco Pondinas, élève de Raphaël ! Personne ne dit mieux ?…

Personne ne disait mieux, et l’image de la pseudo-princesse égyptienne devint, pour un prix vraiment surfait, la propriété de Frank Reeves.

— Te voilà bien avancé, mon vieux Frank, fit Morane. Non seulement tu viens de jeter ton argent par les fenêtres, mais en outre, tu sembles avoir rendu ce pauvre petit vieillard bien malheureux.

— C’est bien cela qui me chagrine, dit Reeves. Mais pourquoi donc tenait-il tant à avoir cette toile ?

— Et toi, demanda Morane, pourquoi y tenais-tu à ce point ?

Reeves ne répondit pas, et ce silence ne manqua pas d’intriguer Morane.

Il connaissait son ami et il savait que, malgré sa colossale fortune, celui-ci n’appartenait pas à cette sorte d’êtres capricieux et futiles, aimant faire étalage de leur richesse. Vraiment, l’engouement de Frank et du petit vieillard pour l’œuvre d’un peintre inconnu paraissait de plus en plus étrange au Français.

Pourtant, Bob aurait été plus intrigué encore s’il avait pu surprendre les paroles échangées par deux individus qui, depuis le début de la mise en vente, se tenaient debout au fond de la salle.

— Pourquoi n’as-tu pas surenchéri ? demandait le plus petit des deux hommes à son compagnon, un rouquin bâti en force. Tu sais bien que le patron voulait cette toile.

— Oui dit l’autre, il la voulait, mais le monsieur en gris la voulait aussi – il désignait Frank Reeves – et c’est le genre de type qui, s’il était à vendre, achèterait le Panthéon sans même sourciller. Le patron a de l’argent, mais pas à ce point…

— Pourtant, il veut cette toile.

Le plus grand des deux hommes cligna de l’œil :

— Il l’aura, je te le certifie, et pour pas cher…

— Que veux-tu dire ?

— Tout simplement que ces deux messieurs vont sans doute sortir en emportant la toile en question. Il nous suffira de les suivre. Puis, arrivés dans un endroit désert, nous les aborderons et leur dirons poliment : « Messieurs, veuillez nous remettre ce tableau…».

— Et s’ils ne veulent pas nous le donner ?

Le grand rouquin ricana et étendit une main aussi large qu’une assiette à déjeuner, pour la refermer ensuite avec force, comme s’il écrasait quelque chose.

— S’ils ne veulent pas, fit-il, nous cesserons d’être polis.

 

*
* *

 

Par la rue de Richelieu, Bob Morane et Frank Reeves se dirigeaient vers les berges de la Seine où, sur la rive gauche, Morane possédait un appartement petit mais confortable. C’était le printemps et il faisait beau. Les deux amis avaient donc décidé de marcher un peu pour jouir à leur aise et des rayons de soleil et du sympathique laisser-aller de la capitale. Sous son bras droit, Frank Reeves portait la toile de Fosco Pondinas, simplement enveloppée dans une grossière feuille de papier d’emballage.

Devisant gaiement, Frank et Bob parvinrent aux abords du Palais Royal, traversèrent la rue de Rivoli et s’engagèrent sous les arcades donnant accès aux jardins du Louvre.

Comme ils arrivaient à hauteur de l’Arc de Triomphe du Carrousel, à un endroit peu fréquenté par les piétons, une auto noire s’arrêta à leur hauteur et deux individus à la mise recherchée et voyante, aux traits lourds et sournois, en descendirent. Le plus grand, un rouquin au visage marqué par la petite vérole, porta un doigt au bord de son chapeau de feutre et, s’adressant à Frank Reeves, dit d’une voix qu’il s’efforçait de rendre amène :

— Vous portez là un colis bien encombrant, monsieur. (Il désignait le tableau toujours entouré de son papier d’emballage.) Peut-être pourrais-je vous aider à le porter… ? Il se tut pendant quelques secondes puis continua d’une voix rauque et moqueuse :

— Seulement voilà, nous n’irons sans doute pas par le même chemin…

— Et si je refuse de vous laisser m’aider à le porter ? demanda l’Américain d’une voix calme.

— Alors, dit l’autre, mon ami et moi serons obligés de vous le prendre de force.

En disant cela, le rouquin gonflait sa poitrine et roulait les épaules à la façon d’un ours de foire, dans le but évident d’en imposer à son interlocuteur. Frank parut fort impressionné par cet étalage de force brutale. De la main gauche, il prit le tableau qu’il continuait à tenir serré sous son bras droit, et il le tendit au rouquin.

— Je crois qu’il est plus sage de vous obéir, dit-il timidement. Voilà ce que vous voulez, et passez votre chemin…

Le rouquin eut un sourire béat et suffisant. Il tendit la main vers le tableau.

— Au moins vous, dit-il, vous n’êtes pas contrariant. C’est un véritable plaisir de…

Sa phrase s’acheva dans un cri de douleur accompagné d’une affreuse grimace. Le pied de Reeves venait de l’atteindre juste sous la rotule. Une fraction de seconde plus tard, un maître coup de poing, décoché à la pointe du menton, l’envoyait étourdi sur le pavé.

— Vous êtes mal tombé, old chap, fit froidement Reeves. J’ai pas mal pratiqué la boxe jadis, à Harvard, et à l’armée, on s’est entêté à nous apprendre quelques coups vaches…

De son côté, Morane n’était pas demeuré inactif. Au moment où le second individu avait voulu se précipiter au secours de son complice, il l’avait saisi par la manche et le revers de son veston et tiré en avant, tandis que son pied, dans un violent mouvement de balancier, lui fauchait les deux jambes en un classique okuri ashi barai japonais.

Arraché du sol, l’homme tomba lourdement sur le côté, appréciant ainsi toute la dureté des dallages parisiens.

— Une bien belle chose, le judo, déclara Morane de façon sentencieuse.

Visiblement, les deux agresseurs ne semblaient pas décidés à reprendre le combat. Devant la décision et la maîtrise de leurs adversaires, ils se déclaraient battus dès l’issue de la première manche. Ils se relevèrent péniblement. À présent, le rouquin avait tout perdu de sa suffisance.

— Un bon conseil, dit Morane d’une voix sèche. Filez avant que nous nous décidions à appeler la police et, à l’occasion, quand vous nous croiserez dans la rue, changez de trottoir, cela vaudra mieux pour votre santé à tous deux…

Sans insister davantage, les deux individus remontèrent en maugréant dans leur voiture et, après un virage périlleux, repartirent en direction de la rue de Rivoli. Quand la voiture eut disparu, Morane et Reeves reprirent paisiblement leur chemin.

— J’ai l’impression que ta prodigalité nous vaut déjà des ennuis, fit Morane au bout d’un instant.

Reeves secoua les épaules avec insouciance.

— Bah ! deux malandrins qui, se trouvant à l’Hôtel Drouot, y ont assisté à la vente du tableau. Ils ont cru que celui-ci valait réellement la somme pour laquelle je l’ai acheté, et ils ont décidé de se l’approprier.

Morane eut une moue incrédule.

— Je ne suis pas de ton avis, dit-il. Ce tableau ne me dit rien qui vaille. Si l’on me disait qu’il fut peint par Satan en personne, je n’en serais pas autrement surpris. Il doit y avoir quelque chose de louche là-dessous. Une malédiction, que sais-je…

Frank Reeves éclata de rire.

— Mon cher Bob, ton goût pour l’aventure te fait voir des choses fantastiques là où il n’y en a guère. Deux chenapans tentent de ravir une peinture qui, pensent-ils, possède une très grande valeur, et voilà qu’aussitôt ton esprit se met à vagabonder. Là où il y a seulement un modeste fait divers, tu échafaudes quelque histoire rocambolesque.

À son tour, Morane se mit à rire.

— Peut-être as-tu raison, fit-il. Mon besoin d’action me pousse sans doute à imaginer des choses impossibles. Je commence vraiment à me rouiller. Ah ! quand aurai-je de nouveau l’occasion de monter à bord d’un avion de combat, ou quand pourrai-je encore faire naufrage chez les Papous ?

Ils étaient arrivés au bord de la Seine. En face d’eux se détachait la silhouette déliée du Pont des Arts et, plus haut, la massive coupole de l’Académie.

Quelques minutes plus tard, ils se retrouvaient dans l’appartement de Morane, sis sur le quai Voltaire, au-dessus de la boutique d’un marchand de livres et d’estampes.

Aussitôt entré dans le petit salon-bureau, meublé avec goût mais où un harmonieux désordre laissait l’empreinte du maître de céans, Reeves se mit en devoir de débarrasser le tableau de son enveloppe de papier brun, et il le posa à plat sur une table basse. Vu de près, le profil de la jeune femme perdait un peu de son mystère. Certes, il gardait son caractère insolite, mais l’attention était distraite par les détails mêmes du tableau et, notamment, par le fin réseau de craquelures couvrant la surface peinte. L’exécution de la peinture elle-même était soignée, rigoureuse et veloutée à la fois. Les tons beiges du fond repoussaient à merveille la carnation foncée du visage et l’or rougeâtre du diadème dont chaque ciselure était représentée avec une précision scrupuleuse. Ne jouissant pas de la célébrité d’un Raphaël, d’un Titien ou d’un Michel-Ange, Fosco Pondinas, dont le nom se lisait avec peine dans le coin inférieur droit de la toile, avait dû posséder cependant un certain talent.

Frank Reeves admirait l’image de l’Égyptienne inconnue avec un évident ravissement.

— On ne peut supposer, dit-il en se tournant vers Bob, que l’artiste ait tiré ce portrait de sa seule imagination. Ces traits sont trop vivants pour n’avoir pas appartenu à une personne réelle. Pourtant, le peintre et son modèle n’ont pu vivre à la même époque. Si ce portrait a été peint d’après nature, il a dû l’être au cours de quelque séance médiumnique, à moins que l’artiste ait eu le moyen de voyager dans le temps…

Morane regarda son ami avec inquiétude. Il espérait lire de l’ironie sur ses traits, mais Reeves semblait avoir parlé avec le plus grand sérieux.

— Hé, minute ! s’exclama Bob. Cette fois, c’est toi qui dramatises les choses. Tout à l’heure, je parlais de malédiction et voilà que toi, à présent, tu parles d’évocation d’esprits et de machines à explorer le temps. Sans doute, Fosco Pondinas a-t-il tout simplement choisi une jeune Romaine aux traits vaguement africains pour, après lui avoir collé sur le crâne un diadème de carnaval, la peindre en princesse égyptienne.

Tout en parlant, Morane n’avait cessé de fixer la toile. Soudain, il devint grave.

— N’empêche, fit-il encore, que ce portrait est un réel chef-d’œuvre et que, malgré mes réserves sur la personnalité du modèle, je le verrais avec plaisir accroché à mon mur. Je vais même te demander une faveur…

Reeves leva sur son ami des regards interrogateurs.

— Demande-moi ce que tu veux fit-il, un million huit cent mille francs, ou même dix millions, je te les donnerais avec plaisir. Mais pas le tableau…

— Il suffira d’en faire une copie, répondit Bob. Le sujet me plaît et par sa forme et par ses couleurs. Pour le reste, qu’il soit ancien ou non, je m’en moque comme de ma première dent. Je connais un peintre spécialisé dans les copies de tableaux anciens. En quelques coups de pinceau, il aura confectionné une sœur jumelle à ta princesse égyptienne…

Le visage de Frank s’éclaira. Il parut soudain soulagé.

— C’est cela, dit-il, faisons faire cette copie. De cette façon, nous serons deux à supporter les conséquences de la malédiction s’il y en a une.

— J’ai eu tort de lever ce lièvre, remarqua Morane. Tu te lances maintenant à sa poursuite à la façon d’un lévrier qui a perdu la tramontane. Te voilà bien devenu superstitieux tout à coup…

Reeves ne releva pas l’allusion. Il se mit à renvelopper la toile dans son papier brun.

— Descendons déjeuner, dit-il. Ensuite, nous irons rendre visite à ton ami le copiste.

Bob et Frank se retrouvèrent bientôt sur les quais, pour s’enfoncer presque aussitôt dans la calme rue de Seine. Reeves portait le petit tableau sous son bras. Ce n’était là qu’un peu de toile et de bois légers et, pourtant, dans cette toile et dans ce bois, il y avait tout le poids redoutable et grisant de l’Aventure…

 

La Galère Engloutie
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